a1Nous poursuivons la lecture du livre d’Alain Cambier « qu’est-ce qu’une ville ? », paru chez Vrin. Le deuxième chapitre s’intitule « habiter la ville ». La finalité principale d’une ville est de produire de l’habitable. Mais, comme nous le verrons plus tard, cette affirmation doit être nuancée et en particulier de nos jours. Que signifie d’abord le mot « habiter » ? Habiter est une notion plutôt complexe. Elle ne se réduit pas à disposer d’un habitacle pour se protéger des intempéries et des dangers du monde extérieur. L’architecte, du grec architekton signifiant celui qui dirige un travail, une construction (tekton = ouvrier qui travaille) construit une habitation. Mais, on ne peut réduire cette habitation au simple logement. Le chez soi est le prolongement de la personnalité qui va vivre dans cet espace. La personnalité de l’individu rayonne dans ce lieu. La construction ne reflète pas une nécessité immédiate mais le déploiement d’un espace propre. L’habitation est un acte éminemment culturel. L’inhabitable est de son côté lié à la nature sauvage. Construire un logement est une chose le rendre habitable est une autre. Certains HLM sont devenus inhabitables et donc détruits, à cause des normes mais aussi de l’évolution des mentalités qui refusent certaines conditions de vie devenues inacceptables. Le philosophe Martin Heidegger montre bien cette distinction entre la notion de « bâtir » et celle d’ « habiter ». Le bâtir relève du professionnel et est un moyen, pendant que l’habiter est une fin, un but, un mode de vie. L’habitant organise un monde autour d’un centre de références, un espace de significations ; On peut organiser un lieu favorisant les rencontres ou en cherchant à les éviter. L’habitation renvoie à des usages et non à une simple fonctionnalité planifiée.

Étendons notre propos et intéressons-nous, maintenant, à la ville : que signifie « habiter la ville » ? Une ville est constituée de bâtiments qui ont été construita2s, la plupart du temps, selon un plan prédéterminé. Mais, ces constructions sont vouées à des usages qui ne se laissent pas établir abstraitement. Il résulte une  tension certaine entre la fin que se donnent les architectes et les usages des habitants qui peuvent s’avérer très contradictoires. L’architecte construit un modèle, qui sera suivi lors  de la construction. Comme le souligne Platon, dans la République, à propos de l’artisan mais que nous pouvons transférer à l’architecte « l’artisan, qui fabrique un lit, ne le fait pas simplement en regardant un autre lit, mais en regardant l’idée de lit. ». Prenons quelques exemples dans l’histoire. Les villes du Havre et Vitry le François, construites à la demande de François 1er sont conçues à partir de figures géométriques carrées ou rectangulaires, qui se subdivisent à nouveau en carrés et rectangles. René Descartes, dans le discours de la méthode,  théorisera et fera l’éloge un siècle plus tard de ces villes construites par la volonté politique et  par un seul architecte. Il rejette tout raccommodage et la tendance à faire du neuf à partir du vieux. Il regrette les villes qui se sont transformées petit à petit dans l’histoire de manière anarchique : le modèle du Moyen Age est le bourg qui devient ville avec le temps. La ville idéale est la ville construite ex nihilo  dans une plaine. Pour Descartes, l’architecte ne doit pas tenir compte des désirs des habitants. La souveraineté absolue doit s’imposer. Les rues en équerre vont avoir tendance à se développer. Nous trouvons un bel exemple à Rochefort qui contraste avec les rues sinueuses de Poitiers, la cité d’à côté. La ville se rationalise parfois à outrance et apparaît souvent sous forme de damiers, soumis à l’impératif de l’orthogonalité (voir New York). Entre parenthèses, cette rationalisation ne rime pas toujours avec le bon sens. Les rues sinueuses de Poitiers tenaient compte des vents dominants, de l’ensoleillement…Au XIXème siècle, l’habiter doit s’adapter au bâtir. On veut privilégier le flux, le déplacement dans les villes au détriment de l’habiter. Pour Hausmann, le souci de circulation prend le pas sur toute autre considération. Il n’y a plus de centre. Tout est fait pour s’éviter. Ce siècle troublé par plusieurs révolutions engendre un urbanisme qui cherche à compromettre les rencontres et les coopérations sociales. Il en va de même au coua3rs du XXème siècle où tout tourne autour du mythe de la voiture reine. Il s’agit de favoriser les flux dans les villes, mais aussi insérer la ville dans les flux.. Face à tout cela, les habitants font un peu de résistance et essaient de se réapproprier la ville. Ces dernières années, avec l’essor des idées écologiques, une plus grande place est accordée à nouvea4au à l’humain au détriment de la voiture. Les contournements des centres villes, le développement des zones piétonnes, l’agrandissement des trottoirs au détriment de la chaussée. Certes, les flux demeurent, mais à l’échelle humaine. Les rencontres redeviennent possibles. On assiste à un développement des braderies, des fêtes d’antan, foraines… Les places continuent à assumer leur rôle de rencontres, des jardins communautaires et partagés se développent.

En résumé, comme d’habitude tout est complexe. Des forces contradictoires se font face. Bâtir s’oppose à Habiter ; Habiter s’oppose à se déplacer ; intérêt public à intérêt privé, esthétisme et bon sens. Au final, la question demeure comment rendre la ville plus habitable et plus habitable pour tous ? Même pour les SDF qui demeurent le symbole de la ville inhabitable, de la ville qui exclut.

Pascal Broutin