Je vais essayer de rendre compte de la richesse des propos d’Emmanuelle Houdart. Je me permettrais d’y ajouter quelques réflexions et interprétations tout à fait subjectives en écho à son discours.

Son parcours

Ce mercredi 09 juin, nous avons eu le grand plaisir de recevoir Emmanuelle Houdart, dans le cadre de la dixième opération « livre comme l’air », organisée par la Médiathèque de Roubaix.. Dans un premier temps, elle nous a narré avec beaucoup d’humour son cheminement intime et tortueux qui l’a amenée à l’illustration. Avec une très grande générosité, elle a évoqué son adolescence, ses conflits avec ses parents qui ne voulaient pas qu’elle entame un cursus artistique, ses années aux Beaux Arts de Genève, les petits boulots qui ont suivi, puis sa montée à Paris chez les éditeurs pour la jeunesse, son premier album.

Ses thèmes

Toutes ses anecdotes, nous montrent une jeune fille puis une femme sans concession qui refuse de se plier aux canons de la société suisse très policée. Volontairement excentrique, elle refuse aussi l’univers édulcoré des livres pour la jeunesse : les belles princesses, les princes vaillants… Tout de suite, elle introduit dans ses dessins des tronçonneuses, des viscères, des monstres en tout genre. Un des premiers dessins qu’elle propose aux éditeurs s’intitule « le viol ». Actuellement, elle réalise une affiche pour une association de tripiers, représentant des vêtements réalisés à partir d’organes et de viscères. Ce thème s’avère être le sujet de son premier livre pour adultes, à paraître cet automne. Le monstre est, en apparence, la figure centrale de ses albums. Ce monstre primordial que nous avons en nous. Ce monstre dont l’enfant « innocent » doit se repaître pour pouvoir affronter le monde cruel dans de bonnes prédispositions. Nous trouvons un très bon exemple de cette situation dans l’album « Emilie Pastèque », qui s’affuble de la dent du monstre qu’elle a récupérée dans le ventre de ce dernier, pour pouvoir enfin affronter la réalité, l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. Elle aime surtout dessiner des personnages en apparence mais aussi de l’intérieur. Pas de décor, elle nous avouera qu’elle ne maîtrise pas bien la perspective, les proportions. La maison est souvent représentée par une porte, quelques lames de parquet. Les personnages de ses albums habitent plutôt à l’intérieur du ventre du monstre ou de la femme. Le corps semble être le thème principal de ses albums qu’il soit monstrueux ou pas. L’inspiration vient de son corps, de ses tripes pour s’exprimer sur la feuille, donnant ainsi au dessin toute sa force, son énergie vitale. Le dessin revêt des formes très rondes, très douces. Cette tendance permet d’adoucir le propos. La présence des organes et des viscères me fait penser aussi aux cabinets de curiosité. On retrouve d’autres traces de ces cabinets dans la profusion d’objets, d’animaux, de coquillages. De nombreux albums revêtent la forme de la liste, de la collection, de l’encyclopédie ou de l’imagier : liste de maladies dans « monstres malades », « l’abécédaire de la colère », listes de mots dans « dedans »…Nous sommes aussi très sensibles à l’attention qu’elle donne aux habits. Elle prend un soin tout particulier à nous offrir dans chaque album une riche collection de vêtements et d’accessoires : les chapeaux dans « les monstres malades », par exemple.

Enfin, sans vouloir rentrer dans son intimité, la force de son œuvre réside dans le fait qu’elle essaie de traduire par le dessin des sentiments qu’elle ressent. Elle dessine avec son corps, avec ses tripes et ses organes. Catharsis, psychothérapie, en tout cas, je crois qu’elle fait sortir, des peurs, des colères qu’elle a en elle. La grande qualité de son travail réside dans le fait que nous ne restons pas au niveau de l’intimité mais elle arrive à toucher à l’universalité.

La technique

Emmanuelle Houdart nous a parlé aussi de sa technique de dessin. Mis à part le premier album, elle utilise exclusivement des feutres. Elle commence à dessiner au crayon de bois sur un grand format. Puis, elle réalise les contours au feutre fin noir, laissant une place conséquente au blanc pour chaque page. Elle colorie au feutre noir puis elle use, elle « torture » ce noir avec la couleur désirée. Cette technique ne permet pas de revenir en arrière. Une fois dessiné, les dés sont jetés. Cette attitude met en avant son aspect sans concession. L’étendue de sa palette tend à diminuer. Pour certains albums comme « monstres malades », elle ne retient qu’une seule couleur par double page. Pour « Emilie Pastèque », elle n’utilise que deux couleurs le rouge et le vert, couleur de la pastèque. Pour dessiner, elle travaille les expressions du visage à partir d’un petit miroir qu’elle a toujours sur sa table. Elle utilise aussi la banque d’images que constitue Internet.. Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’inspiration lui vient de son propre vécu, mais, surtout, d’un état de concentration vague comme chez le psy. Les choses passent et viennent. Elle travaille à partir d’associations d’idées.

L’échange :

L’intervention s’est terminée par une présentation des travaux des élèves. Là encore, Emmanuelle Houdart a fait preuve de beaucoup d’enthousiasme, de beaucoup de générosité face aux réalisations de nos élèves de seconde. Nous présenterons dans de prochains articles quelques exemples de ces travaux.

Merci beaucoup, Madame Houdart

Pascal Broutin