philo_003SAINT GIRONS, Baldine. Le Sublime de l’Antiquité à nos jours. Paris : Editions Desjonquères,  2005, 247 p.

 

Vibrer au sublime, c’est me sentir pénétré d’un art et d’un savoir qui viennent d’ailleurs.p. 165.

 

Celles et ceux qui liront ce livre n’auront plus d’excuses, ils ne pourront plus confondre le sublime avec d’autres catégories esthétiques comme le « beau », le « joli » ou le « merveilleux ». Le langage ordinaire s’accommode sans vergogne de cette absence de distinction et, dans son ordre, comme dirait Pascal, cela reste légitime. Mais qu’on quitte un instant les usages quotidiens de la pratique linguistique, qu’on prétende faire un peu de philosophie – et donc s’inquiéter du sens des mots -  et il n’est plus légitime d’employer à tort et à travers certains termes comme si leur signification revenait finalement au même,  sans prêter à conséquence sur le plan conceptuel. Le titre de l’ouvrage de Baldine Saint Girons l’indique assez : c’est du « sublime » qu’il s’agit envisagé en fonction des aventures qui rythment son histoire,  tant sur le plan philosophique qu’esthétique et même psychanalytique, puisqu’une réflexion à la fois historique et conceptuelle sur le sublime ne peut faire l’économie d’une enquête sur la « sublimation »[1].

 

Afin d’un peu mieux circonscrire ce qui par définition ne peut l’être tout à fait, puisque le sublime « est bien l’insaisissable qui saisit », [2] B. Saint Girons fait preuve d’une remarquable capacité de synthèse combinée à une réelle érudition. Ces qualités sont nécessaires pour tenir intacte l’ambition du titre. Le sublime a en effet une longue histoire qui plonge ses racines dans l’Antiquité grecque et romaine, avec notamment l’œuvre incontournable et fondatrice de Longin, pour ne cesser de traverser les périodes historiques majeures. On fera une mention particulière au chapitre consacré à Vico, cet auteur italien du XVIII° siècle encore assez méconnu en France, qui, pour une étude du sublime, s’avère de la toute première importance[3]. Aussi le sublime n’est pas une curiosité historico-esthétique, il donne à penser et innerve aussi l’art moderne pour tenir une place de choix chez des peintres comme Barnett Newman ou Mark Rothko[4].

 

L’ouvrage de B. Saint Girons n’est pas qu’un livre d’histoire, ce qui serait en soi un motif suffisant pour en justifier la lecture. C’est essentiellement un livre de philosophie qui interroge des thèmes chers à nos étudiants et en conceptualise les attendus, ainsi du corps au sujet duquel l’auteure écrit : « Ne négligeons pas la théorie physiologique, car le sublime est un phénomène qui arrive au corps. »[5] Mais il y a plus : ce corps à qui le sublime arrive, c’est le corps propre d’un être pensant et affecté. Or ce sujet singulier n’est pas qu’un esthète jouissant à bonne distance d’un monde réduit à un beau spectacle, il est « embarqué » et cherche plus ou moins confusément à se dépasser, d’où les trois thèses soutenues dans cette histoire philosophique du sublime : celui-ci « ne saurait se réduire à une simple catégorie esthétique, parmi d’autres ; il est principe à la fois de l’art, de l’esthétique et de la philosophie de l’art ; et, enfin, il donne accès à une science possible du sujet, conçu comme voué à se transcender lui-même. »[6]

 

Dans ces conditions, on peut lire ce livre à deux niveaux qui naturellement ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. On peut d’abord le lire comme un livre d’histoire conceptuelle afin d’enrichir et d’affiner sa pensée ; on peut – peut-être doit-on – aussi l’envisager comme un livre à portée éthique qui invite le lecteur à « brûler ses vaisseaux et s’inventer une vie à nouveaux frais, en se rendant disponible pour de nouvelles et imprévisibles rencontres. »[7]Qui dit mieux ?

 

Olivier  Koettlitz

 


[1] Cf. Baldine Saint Girons, Le Sublime de l’Antiquité à nos jours, Editions Desjonquères, Paris, 2005, chap. IX.

[2] Ibid, p. 146.

[3] Ibid, chap. V.

[4] Ibid, chap. VIII, p. 152 sq.

[5] Ibid, p. 171.

[6] Ibid, p. 184.

[7] Ibid, p. 173. On ne négligera pas la « Bibliographie raisonnée » qui accompagne l’ouvrage ainsi que l’ « Hymne au sublime » qui conclut ce travail.