Un gros arrivage de romans au CDI, de littérature française, anglaise et américaine

a1Des œuvres passionnément romantiques

Les œuvres romantiques ne délaissent pas l’action mais elles ont toujours un côté très contemplatif. On peut parler de roman de l’âme. Le rendu de la nature est souvent somptueux et les descriptions de paysages magnifiques. Elles ne sont jamais gratuites : la nature chez les Romantiques reflète l’âme humaine, une adéquation existe entre le sujet contemplant et l’objet contemplé. A travers le paysage, c’est le cœur humain qu’on déchiffre.

1788 :  Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre

Un amour passionné et tragique dans le cadre d’une nature magnifiquement rendue. L’histoire passe de bouche en plume, racontée par un narrateur visiblement manifestement très ému qui la tient d’un vieil homme rencontré devant les cabanes désormais en ruine de Paul et Virginie, sur le rivage de l’Ile de France. Elevés ensemble par deux mères seules que l’amitié a unies en couple parental, les deux enfants, qui se considèrent comme frère et sœur, ne peuvent qu’être troublés par les sensations et sentiments qui se font jour en eux à l’adolescence :  « Cependant depuis quelques temps Virginie se sentait agitée d’un mal inconnu. Ses beaux yeux bleus se marbraient de noir ; son teint jaunissait ; une langueur universelle abattait son corps. » Poussée par sa mère, Virginie part alors en France…

1805 : René  de  François René de Chateaubriand  a2

« En arrivant chez les Natchez, René avait été obligé de prendre une épouse, pour se conformer aux mœurs des Indiens, mais il ne vivait pas avec elle. Un penchant mélancolique l’entraînait au fond des bois ; il y passait seul des journées entières, et semblait sauvage parmi les Sauvages. » Ainsi débute René. René est le premier personnage littéraire à ressentir le « mal du siècle », mélange de mélancolie, de mal de vivre et d’ennui, sentiment douloureux de ne pas être fait pour ce que l’on vit et qui préfigura3e le spleen baudelairien.

    1847 : Jane Eyre est le roman d’une jeune femme d’allure frêle et timide, Charlotte Brontë, qui le publia sous un pseudonyme masculin. Violence des sentiments, passion, imagination, ardeur, seul son roman semblait témoigner de ce qui habitait son auteure, prisonnière d’une époque puritaine qui brimait la femme et ses aspirations.  L’histoire : orpheline maltraitée, sans fortune et sans beauté, Jane, entre comme gouvernante au manoir de Thornfield, pour s’éprendre du ténébreux Rochester, le maître des lieux. Entraînés par une passion sensuelle et une égale exigence morale, ils envisagent bientôt le mariage. Mais une présence mystérieuse hante ce domaine perdu entre landes et bruyères…

a5   Deux récentes adaptations cinématographiques :a4

bande annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19433627&cfilm=14917.html

bande annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19275163&cfilm=136216.html

Quand on a affaire à des vampires ou des fantômes

a6    Eté 1816, bords du lac Léman. Une poignée d’écrivains, Lord Byron, Percy Shelley et sa femme Mary notamment, occupent de   sombres et pluvieuses journées à lire des contes fantastiques, s’entretenir du « principe vital », de ce qui fait que la matière peut s’animer.  L’idée d’un étrange pari leur vient : écrire en une journée une histoire de fantômes. Mary Shelley, âgée de 19 ans, écrivit Frankenstein ou le Prométhée moderne,  donnant vie à une hideuse créature faite de morceaux de cadavres assemblés. Lord Byron proposa le début d’une nouvelle qu’il abandonna, et que son secrétaire particulier, Polidori, un médecin, termina : le Vampire. Ce fut le seul texte de Polidori mais avec celui-ci, il initia un genre. Ici le monstre est un très séduisant mais très froid aristocrate nommé Lord Ruthven, qui fascine et effraie à la fois son jeune ami  Aubrey qui ne pourra que regretter de l’avoir rencontré. Vous l’avez compris, Lord Ruthven est un vampire, le premier de l’histoire de la littérature en prose, mais non le dernier… L’édition Babel comprend en guise de postface une très intéressante lecture de Jean-Claude Aguerre sur l’histoire du vampire et du genre.a7

Carmilla de Sheridan le Fanu, voit le jour en 1871, soit vingt-six ans avant son illustre successeur, le Dracula de Bram Stoker. Les deux auteurs sont irlandais. Carmilla est un vampire superbe et sensuel qui séduit ses victimes, les aime … et les tue. Carmilla influence Bram Stoker qui fait apparaître sa tombe dans une première version de son roman. Mais son éditeur lui fera enlever cette référence trop sulfureuse. C’est que Carmilla est un vampire féminin qui s’en prend à une jeune fille, ajoutant la transgression de l’homosexualité à celle des limites entre la vie et la mort !

a8   Le Maître de Ballantrae de Stevenson (1889) n’est pas un roman fantastique mais on y trouve les influences très probables de Mary Shelley et de Sheridan Le Fanu dans certaines scènes. On peut surtout rattacher ce roman, de même que le très célèbre Dr. Jekyll et Mr.Hyde,  à la tradition romantique allemande du « Doppelgänger », exploitée par Maupassant en  1887 dans Le Horla. Dans Le Maître de Ballantrae,  Stevenson joue magistralement sur le dédoublement et les ambivalences. La lutte acharnée de deux frères d’une vieille famille écossaise, James (le Maître) et Henry Durrie, est racontée par le secrétaire d’Henry, Mackellar, véritable mémoire de la famille. Fidèle à son intègre maître Henry mais secrètement fasciné par son double diabolique James, Mackellar est lui-même un personnage complexe qui ne peut être objectif. « ni roman d’aventures à proprement parler, ni traité sur la schizophrénie, The Master of Ballantrae emprunte un peu aux deux genres et luit sombrement dans sa spécificité hybride », conclut Serge Coupel dans la préface de l’édition GF.

Henry James est un romancier américain naturalisé britannique. Le Tour d’écrou, court roman paru en 1898, est certainement son œuvre la plus célèbre et une des plus célèbres histoires de fantômes de la littérature. Jean Pavans, dans la préface de l’édition Librio, pose la question qui semble être celle que soulève le roman,  mais à laquelle celui-ci ne se réduit pas : « Est-ce que les spectres de Peter Quint et de Miss Jessel, qui, dans le domaine enchanté de Bly, semblent vouloir prendre possession du petit Miles et de la petite Flora, sont  » réels  », ou est-ce que ce sont les produits de l’imagination morbide de la gouvernante des enfants, laquelle est pour nous la narratrice de leur horrible aventure ? »

Benjamin Britten  fit du roman un opéra en un prologue et deux actes, créé en 1954. Á l’époque de la création de l’opéra, l’homosexualité était un sujet tabou, soumis aux tracasseries de la police. Tout ce que la nouvelle contenait de non-dit, de dénonciation des pressions puritaines (l’histoire se passe à l’ère victorienne), éveillait chez Britten bien des sympathies.a9

Acte I, scènes 6-8 : http://www.youtube.com/watch?v=xJXRb9R09h0 (sous la direction de Luc Bondy, 2007)

Les Innocents (The Innocents) est un film britannique réalisée et produite par Jack Clayton, sortie en 1961. De

larges extraits en anglais: http://www.youtube.com/watch?v=FJJ2MZLQij8

Quand on a affaire au diable lui-même…

a10   Le Diable amoureux, nouvelle espagnole de Cazotte, 1772.

   Ayant quitté son Estramadure natale, où l’attend sa vénérable mère pour le mettre en rapport avec la femme qu’elle seule peut  lui choisir, Alvare, jeune capitaine espagnol, est en garnison près de Naples. Il s’y ennuie jusqu’au jour où il rencontre un adepte de la science des esprits, Soberano, qui devant lui invoque un esprit nommé Calderon et hop ! voici sa pipe allumée selon son désir. A voir ainsi réalisé le désir de l’autre, le jeune Alvare sent le sien prendre feu : « Vous ne pouvez concevoir la vivacité du désir  que vous avez créé dans moi : il me brûle… » d’en savoir plus. Qu’à cela ne tienne : Soberano l’amène quelques jours plus tard dans les ruines de Portici à Herculanum. Dans l’obscurité d’une grotte archaïque Alvare invoque Belzébuth :

« A peine avais-je fini, une fenêtre s’ouvre à deux battants vis-à-vis de moi, au haut de la voûte : un torrent de lumière plus éblouissante que celle du jour fond par cette ouverture ; une tête de chameau horrible, autant par sa grosseur que par sa forme, se présente à la fenêtre ; surtout elle avait des oreilles démesurées.  L’odieux fantôme ouvre la gueule et, d’un ton assorti au reste de l’apparition  me répond : « Chè vuoi ? »

Après plusieurs métamorphoses, c’est une très belle jeune fille qui se trouve devant lui… Le Diable amoureux est une référence du psychanalyste Jacques Lacan s’interrogeant sur l’apparition du désir dans son Séminaire IX où il reprend la fameuse question « Chè vuoi ? » (Que veux-tu ?).  Sous cet angle, la fiction de Cazotte apparaît comme la recherche de secrets, de savoirs obtenus de la fréquentation des esprits pour récupérer un plus de satisfaction. C’est pour assouvir ce brûlant désir que le jeune héros Alvare convoque Belzébuth, une figure de l’Autre, diraient les psychanalystes.a11

L’étrange histoire de Peter Schlemihl ou l’homme qui a vendu son ombre est un récit fantastique écrit par l’écrivain et botaniste allemand Adelbert von Chamisso en 1813. Prenant tour à tour l’allure d’un conte, d’un roman de formation, c’est l’histoire d’un pacte diabolique où le héros, qui s’est vu donner par un petit homme gris la bourse sans fond de Fortunatus, perd son ombre et se retrouve haï des hommes. Peter Schlemihl, dans les mains du diable, n’est cependant pas un homme perdu, car il trouve le moyen d’une originale rédemption en adéquation avec l’esprit des Lumières.

a14      L’œuvre la plus célèvre de Jules Barbey d’Aurevilly, les Diaboliques,  parue en 1874, fut l’objet d’un   retentissant procès. Dans sa préface, il prétend avoir fait œuvre morale en dépeignant les agissements de femmes adultères, prostituées, criminelles, nymphomanes, sadiques, en un mot « diaboliques ». C’est pour donner l’horreur de tous ces péchés qu’il les a dépeints. Mais il prend lui-même manifestement trop de plaisir à ses récits pour que l’on puisse en être pleinement persuadés !

LITTERATURE ENFANTINE :

a12    Il veut oublier que l’enfance n’a qu’un temps, qu’il faut grandir, s’enferme dans son imaginaire fait d’Indiens et de Pirates, a des rapports compliqués avec une petite fée nommée Clochette. Il s’entoure d’enfants qu’il va voler à leurs familles. Plus cruel qu’on ne le voudrait pour un enfant, c’est, bien sûr, Peter Pan, de James M. Barrie (1911). A lire, pour savoir exactement de qui on parle…

     Isaac Bashevis Singer (prix Nobel de littérature en 1978), Le Golem, écrit et publié en yiddish en 1969, traduit en anglais en 1981. Nous sommes à Prague, au XVIème siècle. Les Juifs sont victimes des rumeurs et des persécutions perpétrées par les Chrétiens à leur encontre. Quand Reb Eliezer, banquier juif, refuse un nouveau prêt à l’odieux comte Bratislawski, il est injustement accusé par celui-ci d’avoir assassiné sa fille. Un mystérieux messager conseille au rabbin de construire une créature d’argile, autrement dit un a13golem, pour sauver Eliezer, ainsi que la communauté juive. Nous sommes dans le thème de la créature crééé par l’homme (comme avec Frankenstein), pour être son serviteur, et accomplir ses désirs. Le danger est que la créature s’autonomise et échappe à son créateur. Isaac Bashevis Singer reprend cet élément mais il introduit le personnage d’une jeune fille. Sa version est originale et très belle. Le livre reprend à la fin les dix raisons pour lesquelles I.B. Singer écrit pour les enfants : « Les enfants lisent les livres, pas les critiques. Les critiques, ils s’en moquent ». Belle invitation à la lecture !

Nathalie Merlin