quelquesuns1Pour le thème « génération(s) », tombé aujourd’hui à l’épreuve de français de BTS, ‘j’aimerais vous parler du livre de Philippe Claudel « quelques-uns des cent regrets » paru aux éditions Gallimard et disponible en poche dans la collection Folio. L’auteur nous raconte le retour d’un adulte dans son village natal qui se transforme en une plongée vers ses origines. Il retourne sur les traces de son passé pour enterrer sa mère qu’il a quittée 16 ans plus tôt. « Il a fallu que ma mère meure, que ma mère meure loin de moi, abandonnée par son fils pour que, malgré moi, j’emprunte de nouveau les chemins d’autrefois ».(p.115) Comme dans ses précédents romans, nous voyageons au gré des chapitres entre le présent et le passé et nous reconstruisons petit à petit les morceaux de l’histoire. Le héros arrive dans un petit village à la fois anonyme et universel où tout est inondé : eaux des larmes, eaux du grand nettoyage, du déluge… Toute cette eau arrivera-t-elle à nettoyer la blessure dont souffre le héros et qu’on ne comprend qu’à la fin du roman ? Cette blessure est liée à ses origines. Il est « né dans un très jeune ventre de 16 ans ». « J’ai fait sombrer une enfant dans le monde des mères. Ma venue l’a fait glisser dans la nuit. La nuit de l’abandon et de l’étroite amertume ».(p.37). Son univers familial demeure très limité. L’image de son père se résume à une photographie : »il y posait rieur dans une belle tenue d’aviateur. C’était avant qu’il ne disparaisse. C’était avant qu’il ne meure dans une guerre lointaine, dans un pays de douceur et de pluie » (p.39). Sa mère lui interdit de voir son grand-père maternel : « je te l’interdis!, me disait ma mère dès que je lui confiais mon désir d’aller voir mon grand-père, de connaître sa voix, la couleur de son regard, son odeur, la chaleur de sa paume. Cet homme, il n’y a pas de mot pour lui, il m’a tant fait à moi, que je ne veux pas qu’il t’approche ! »(p.72) La grand-mère rend visite à sa fille qu’une fois par mois pour pleurer et se disputer entre femmes et n’effleurer qu’à peine son petit fils : « je me rappelle le baiser qu’elle me donnait, du bout de ses lèvres effroyablement froides et c’était davantage un effleurement contraint et presque surpris qu’un baiser véritable…Ma grand-mère me regardait avec peur. Elle n’osait trop laisser ses yeux sur moi. Il me semblait qu’elle tremblait presque à me contempler, moi qui n’avait que peu d’années et  à peine plus de kilos. »(p.73). Une phrase va revenir deux fois dans le texte « chaque homme tue ce qu’il aime ».(p.86 et p.92) Notre héros ressent la culpabilité d’avoir provoqué la mort de sa mère à la suite de son départ et d’avoir été absent le jour de sa mort. »J’ai passé 16 années comme un lâche au cœur mauvais, sans un mot griffonné, sans un signe, loin de celle que j’aimais, loin de ses yeux et de ses gestes et de sa peine qui sans doute ouvrait chaque matin une neuve blessure[...]Ma mère est morte et je n’étais pas là[...]Je ne peux qu’égrener les regrets qui sont des manières de cailloux posés sur une route ». (p.92) « Ma mère n’avait rien légué, sinon des douleurs et des vides, et au profond de moi des remords semés à foison ».(p.97). Ses regrets se transforment en culpabilité. A la question du curé qui lui dit « demandez-vous pourquoi votre mère est morte! », il répond : « par ma faute, mon père, uniquement par ma faute, je le confesse. ma mère est morte par moi, cela est sûr. Comment pourrait-il en être autrement ? J’ai depuis 16 années endossé les habits du fils indigne. J’ai vécu loin de celle qui m’avait donné le jour avant de tout me sacrifier. Elle qui fut la plus parfaite des mères, je l’ai laissée un matin, partant comme un voleur à la petite semaine, sans un mot griffonné, sans une explication, à peine une colère. J’ai tiré une porte et un trait »(p.116). Enfin ce cri p.140 « comment avais-je pu laisser mourir ma mère ! ». Nous comprendrons à la fin du livre la raison de son départ. Je vous invite à lire les derniers pages et la scène où il brûle le secret familial. Il conclut de cette expérience qu’ »on ne devrait jamais juger les autres. Et surtout pas sa mère ». Il peut partir apaisé, en paix.

 

Pascal Broutin