vipere138Dans le cadre du thème du BTS « génération », j’aimerais évoquer une œuvre tout à fait remarquable au sujet de la maltraitance des enfants et de la figure de la mère autoritaire, sale et méchante qui ne vit qu’à travers les oppressions et les brimades qu’elle inflige à ses fils. Vous avez peut être deviné ? Il s’agit, bien sûr de « vipère au poing » d’Hervé Bazin (1911-1996), publié en 1948. Dans ce roman largement autobiographique, l’auteur nous dresse un portrait peu flatteur de sa mère. Surnommée Folcoche, de la contraction de folle et de cochonne. Elle représente le prototype de la mère cruelle, avare qui n’éprouve que haine vis à vis de ses descendants. Son manque d’amour maternel peut s’expliquer par une série de frustrations. Son père, sénateur parisien, l’oblige à se marier à Jacques Rezeau, son aîné de 10ans. Ils vivent en province après avoir quitté la Chine à la mort de la grand-mère qui élevait avec le grand-père les deux fils ainés : Ferdinand et Brasse Bouillon, le héros.p.19 « Grand-mère mourut. Ma mère parut. Et ce récit devint drame ». Les retrouvailles représentent une véritable douche froide pour les enfants qui n’ont pas vu leur mère depuis plusieurs années. p.21-22 « Enthousiasmés (Ferdinand et Brasse Bouillon), nous nous précipitâmes dans ses jambes (Folcoche), à la portière. Allez-vous me laisser descendre, oui ! Nous écarter d’elle, à ce moment nous eut semblé sacrilège. Mme Rezeau dut le comprendre et pour couper court à toutes effusions, lança rapidement, à droite puis à gauche, ses mains gantées. Nous nous retrouvâmes par terre, giflés avec une force et une précision qui dénotaient beaucoup d’entraînements ».A partir de là, leur vie va changer. Elle va d’abord leur imposer un emploi du temps très rigoureux, très janséniste ne laissant aucune place aux plaisirs. p.29 « Le 27 novembre 1924, la loi nous fut donnée. » Le père, entrecoupé par sa femme qui en rajoute une grosse louche à chaque tirade, présente le planning : « vous vous lèverez tous les matins à 5 heures. Vous ferez votre lit, vous vous laverez, puis vous vous rendrez à la chapelle pour entendre la messe du père Trubel, que vous servirez à tour de rôle. Après votre action de grâce, vous irez apprendre vos leçons … A 8 heures, vous déjeunerez. A ce propos, Mademoiselle, coupa Madame mère, je précise que ces enfants ne prendront plus désormais de café au lait, mais de la soupe. Après le petit déjeuner, une demi-heure de récréation. En silence ! coupa Mme Rezeau » etc jusqu’à l’heure du coucher. 21h30 Une fois, le mari parti, elle en profite pour raffermir encore la discipline : tonte des cheveux par mesure d’hygiène, arrêt du chauffage dans les chambres, confiscation des objets personnels, les récréations seront exclusivement consacrées au nettoyage du parc. Elle les oblige à porter de lourds sabots. Elle ne supporte aucun non respect de ses règles. p.33 « Notre mère, qui avait raté sa vocation de surveillante pour centrale de femmes, se chargea de veiller à sa plus stricte application et de l’enrichir peu à peu de décrets prétoriens ». Elle abuse de châtiments corporels p.36″Tes mains, Brasse-Bouillon ! cria Mme Rezeau. Et comme, je ne les remettais pas assez vite sur la table, un coup de fourchette dents en avant, vint les ponctuer de 4 points rouges ». La scène de la chasse est tout à fait éloquente. Malheureuse de voir ses enfants heureux, après une partie de chasse avec leur père, Folcoche décide de leur interdire ce plaisir. Pour la première fois, son mari intervient pour lui dire : « non, mais Paule ! (prénom de Folcoche) Est-ce que tu vas nous foutre la paix, oui !  Vous dîtes ? Folcoche restait pétrifiée. Papa ne se contrôlait plus. Ce lymphatique devint violet. Je dis que tu nous casses les oreilles. laisse ses enfants tranquilles et fous-moi le camp dans ta chambre. » Suite à cette humiliation, elle entre dans une rage épouvantable : p.47 Les pieds, les mains, les cris, tout partit à la fois. …Remarquez que, d’ordinaire, elle ne nous battait jamais sans nous en donner les motifs. » A ce régime, les enfants deviennent rapidement affamés, souffrants du froid de l’absence de tendresse, privés de tout confort et réconfort. Ils n’en peuvent plus. Ils vont entrer petit à petit en résistance sous la houlette de Brasse Bouillon : ils gravent un peu partout dans la propriété VF pour vengeance Folcoche, Brasse Bouillon la fixe intensément pendant les repas, défiant ainsi son autorité. Lors de la scène de la chasse, il ne se laissera pas battre, il résistera physiquement : p.47 « quant à moi, pour la première fois, je me rebiffai. Folcoche reçut dans les tibias quelques répliques du talon et j’enfonçai 3 fois le coude dans le sein qui ne m’avait pas nourri. » Brasse Bouillon devient le leader car c’est lui qui ressemble le plus à sa mère : physiquement avec son menton en forme de galoche et mentalement il a hérité de la dureté de son caractère. L’ensemble du livre nous conte une lutte sans merci entre un fils tant détesté et une mère qui l’est tout autant. Il cherchera tout au long du livre à étrangler la vipère, avec du poisson, puis en la faisant tomber dans l’eau, croyant qu’elle ne sait pas nager…Bienvenue dans la maison des Atrides

Pascal Broutin