sagouinFrançois Mauriac (1885-1970) publie en 1951 « le sagouin ». Guillou est le sagouin : petit animal « vilain, sale et bête ». Le jeune Guillaume de Cernès est le fruit d’un mariage arrangée entre Paule, la nièce du maire de Bordeaux et le baron de Cernès. Il ne s’agit nullement d’un mariage d’amour mais de la volonté de Paule de « franchir le pas » , de « forcer l’entrée d’un milieu interdit ». Ce désir remonte à une scène primordiale de son enfance. P.11, nous pouvons lire : « elle n’avait jamais oublié, au jardin public, ce groupe des enfants nobles : les Curzay, les Pichon-Longueville, avec lesquels il n’était pas question de jouer. La nièce du maire (Paule) tournait en vain autour des pimbêches : « Maman nous défend de jouer avec vous ». La jeune fille avait voulu venger l’enfant sans doute. » On pourrait ajouter l’enfant humilié. Le poids, l’horreur de s’être vendue pour assouvir sa vanité se transforme en haine envers la noblesse. Elle va transférer cette haine sur son fils qui malheureusement  pour lui ressemble à son père. On trouve peu de descriptions d’une mère de son fils aussi péjorative. « Ce que Paule voyait quand elle pensait à son fils, c’étaient des genoux cagneux, des cuisses étiques, des chaussettes rabattues sur les souliers. A ce petit être sorti d’elle, la mère ne tenait aucun compte de ses larges yeux couleur de mûres, mais en revanche elle haïssait cette bouche toujours ouverte d’enfant qui respire mal, cette lèvre inférieure un peu pendante, beaucoup moins que ne l’était celle de son père, – mais, il suffisait à Paule qu’elle lui rappelât une bouche détestée » (p.8-9). Cette bouche détestée, on la retrouvera un peu plus tard avec le baiser du matin : « cette joue jaune (et le point de beauté parmi un duvet noir) sur laquelle il appuyait vite ses lèvres; et il savait d’avance que sa mère essuierait la place de ce rapide baiser avec dégoût : « tu me mouilles toujours… ».  Cette bouche symbole des mots d’amour et des maux de haine. Son physique la rebute viscéralement mais aussi son moral : « que faire d’un enfant borné, sournois ? » surtout lorsqu’il est rejeté de tous les pensionnats à cause de fuites au lit.Lorsqu’elle le présente à l’instituteur pour qu’il lui donne quelques cours individuels elle le qualifie de la sorte : « c’est un arriéré bien sûr ! »   Nous apprenons p.79 que Guillaume est arrivé par accident que l »l’enfant n’était pas prévu au programme ». Guillou inspire du dégoût à sa mère mais aussi à sa grand-mère et à la femme de l’instituteur. Le sagouin représente la figure de l’enfant non désiré, l’enfant rejeté, de l’enfant bouc émissaire de la non harmonie à l’intérieur du couple. Rejetés des vivants, le père et le fils qui se rendaient tous les jours au cimetière, vont mourir tous les deux noyés. Triste humanité

Pascal Broutin