Xavier de la Porte interroge Stéphane Vial, auteur de l’être et l’écran, dans le cadre de l’émission de France Culture « la place de la toile », que vous pouvez écouter et podcaster. Vous trouverez un résumé de leur conversation ci-dessous. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à g_VialEtreEcranCouvconsulter l’ouvrage disponible au CDI.

Le titre :

Les deux protagonistes s’interrogent tout d’abord sur le titre du livre qui fait bien sûr référence à celui de Jean-Paul Sartre « l’être et le néant » qui faisait déjà référence à celui d’Heidegger , grand penseur de la phénoménologie , « l’être et le temps ». Stéphane Vial propose une approche phénoménologique du numérique. L’écran représente une métonymie du numérique.

La thèse :

La thèse centrale du livre est que la révolution numérique constitue une révolution philosophique dans la mesure où elle affecte notre rapport au monde.

Une question peu philosophique ?

Curieusement, peu de philosophes s’intéressent à cette question pour des raisons liées à une certaine technophobie. Les philosophes américains s’intéressent au sujet, en France, on peut citer : Michel Serres ou Bernard Stiegler, que nous avons déjà rencontrés sur ce blog. Cette technophobie remonte en France à Jacques Ellul pour qui la seconde guerre mondiale représente une horreur technologique. Les philosophes ont plutôt tendance à mépriser la matière, au profit de l’esprit.

Une troisième révolution industrielle :

Stéphane Vial, comme d’autres avant lui, considère que nous vivons une troisième révolution industrielle. La première remonte à la Renaissance (Gutemberg, innovation des premiers systèmes machines, mécanismes de bois, propulsées par la force de l’eau). La deuxième date du 19ème siècle « la révolution dite industrielle » (le métal, la machine à vapeur, les transports ; puis l’électricité et le moteur à explosion, l’automobile). En 1945, on invente les premiers ordinateurs qui ne cesseront de gagner en puissance et diminuer de taille. On est passé d’une révolution informatique à une révolution numérique, avec la mise en réseau des ordinateurs.

Révolutions perceptives:

Ces révolutions techniques sont en lien avec des révolutions philosophiques et phénoménologiques. Elles affectent notre manière de voir le monde, de percevoir le réel. La perception d’un phénomène aussi simple que le ciel par une femme qui utilise un rouet est différente de celle qui travaille à la chaîne ou de celle qui tape sur un clavier d’ordinateur. . Aujourd’hui, on a envie de partager la beauté d’un ciel crépusculaire sur les réseaux sociaux. A la Renaissance, on ne pouvait pas le photographier. L’acte de percevoir qui semble si naturel à la base, est aussi culturel. Il recèle une dimension technique. On apprend à percevoir le monde, depuis notre enfance, à l’aide d’artefacts, d’objets comme au début du 20ème siècle la radio ou le smartphone au 21ème siècle. Les différents appareils proposent des perceptions différentes. Le téléphone crée une nouvelle perception de l’autre. La qualité perceptive du monde va être conditionnée par les perceptions auxquelles nous ont habitués les appareils techniques de notre époque.

La notion de virtuel et de réel :

Stéphane Vial va montrer, dans la suite de l’entretien, en quoi l’opposition entre virtuel et réel n’est pas pertinente, que le virtuel est une forme de réel.

Le mot virtuel est tout d’abord employé par Aristote. Il a pour sens « potentiel ». Il s’oppose à actuel. Je participe à une course, je suis un vainqueur virtuel. Aujourd’hui, ce mot doit être compris dans le sens de « simulationnel ». La mémoire virtuelle est une mémoire qu’on peut simuler grâce à une programmation. Mais, tous les mondes simulés sont bien réels. L’arbre qu’on percute en voiture diffère de l’arbre sur l’écran mais tous deux sont réels, comme ma voix à la radio, au téléphone, ou en présence d’amis.

Les caractères des phénomènes numériques :

Dans la suite de l’entretien, Stéphane Vial essaie de caractériser le phénomène numérique.

Le phénomène numérique est un numen. Le phénomène est ce qui apparaît par la perception sensible et immédiate. Le numen est ce qui est au-delà de la perception. Les phénomènes quantiques, à l’échelle infinitésimale, sont des numens. Nous n’avons pas la capacité de les voir de les entendre, de les percevoir. Tout se passe à l’échelle des microprocesseurs. Il s’agit d’interactions de signaux électriques qui se traduisent par des 0 et des 1. D’ailleurs, on a besoin d’une interface (souris, clavier,corbeille…) pour pouvoir exploiter ces signaux électriques. L’interface phénomalise le numen.

Le phénomène numérique est programmable. Tout phénomène est du langage et le programmateur devient le génie de notre temps.

Le phénomène numérique résulte d’une interaction

Le phénomène numérique est instable. Le bug est consubstantiel au phénomène numérique..

De plus en plus, notre société est influencée, voire créée par les ordinateurs.

Tout phénomène numérique est un mode d’apparition d’autrui

Tout phénomène numérique est copiable à l’infini. Ceci engendre un rapport différent à l’œuvre : la copie, l’original, le droit d’auteur…

Le phénomène numérique est annulable. On peut revenir en arrière : effacer ce billet, un joueur peut revivre la même scène mais de manière différente. On peut revenir en arrière quand on visualise un film, mais on verra toujours la même scène. L’univers est fait d’irréversibilité. Comme disait Woody Allen, on ne peut pas remettre le dentifrice dans le tube, on n’échappera pas à la mort, avec le virtuel si.

Les hommes de demain ?:

Pour Stéphane Vial, nous ne changerons pas car depuis le début de l’humanité, l’homme a été couplé à la technique. Cela ne nous change pas profondément. Bien sûr, comme il le montre dans son livre, notre être perçoit autrement. Mais, nous demeurons des êtres humains, certes augmentés par la technique.

Extraits choisis et retranscrits par Pascal Broutin