a1 Jack London a connu la prison pour vagabondage en 1894. Dans le vagabond des étoiles,21 ans plus tard, il dénonce cette institution, « chien de garde de la société capitaliste ». Publié en 1915, cet ouvrage représente une sorte de testament philosophique et littéraire. La prison demeure un lieu clos qui n’attire pas l’attention des politiques de quelque bord que ce soit. Les personnes admises en prison, quelque soit leur motif, doivent « payer ».

L’auteur s’est rendu dans le pénitencier de San Quentin, en Californie, pour y observer la vie quotidienne. Comme pour le héros du roman, tout condamné à perpétuité peut être pendu, à la demande du directeur, à la suite d’un comportement violent envers un maton. Par contre, tout mouchard se voit attribuer une réduction de peine. Toute rébellion amène le détenu à l’isolement avec le port de la camisole de force et la privation de nourriture pendant 5 jours. La camisole représente un véritable instrument de torture. Vous êtes serré à l’intérieur d’un corset qui recouvre l’ensemble de votre corps.

London décrit de manière très réaliste les conditions de vie à l’intérieur de la cellule. Il se base sur les mémoires d’un détenu, présent dans le roman de London Ed. Morrell. Cet ouvrage est intitulé the 25th man et publié 8 ans après la mort de London (1916). Nous retrouvons dans ces mémoires des intrigues présentes dans le roman comme l’affaire de la dynamite, la camisole de force, les relations agressives entre gardiens et prisonniers, l’amitié des mouches, les voyages dans le passé qu’il racontait à son voisin de cellule Jake Oppenheimer, mais aussi sa libération et sa rencontre avec Jack London. Ils auraient beaucoup échangé au cours de plusieurs entretiens. Le vagabond des étoiles se lit donc d’abord comme un roman anticarcéral.

Mais, le vagabond des étoiles se tourne vers le fantastique lorsque son héros, Darell Standing, professeur d’agronomie, tombe en catalepsie. Il s’agit d’un état proche de celui du cadavre, où toutes les fonctions vitales sont réduites au minimum. Pour survivre à la torture prolongée de la camisole, le héros s’autohypnose et part vagabonder en esprit à travers ses vies antérieures. Présenté de manière non chronologique, le héros va revivre des aventures extraordinaires : enfant encerclé par les indiens dans un convoi qui va en Californie, Robinson Crusoé dans l’océan arctique, marin anglais devenu l’époux d’une princesse coréenne du XVIème siècle, Viking devenu centurion assistant au procès de Jésus et pour conclure homme des cavernes. L’auteur recycle quelques fonds de tiroir, des débuts ou des esquisses de romans abandonnés.

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jack London

Dans ce roman, nous naviguons entre l’étroitesse de la cellule et l’immensité des déserts et des océans. Curieusement, à la fin du roman, le prisonnier réussit à s’échapper temporairement de sa cellule, mais il souffre tout de suite d’agoraphobie.

La sublimation de l’esprit permet au héros d’échapper à son corps qui n’est que souffrance dans sa camisole. Le héros va se faire pendre sans crainte car il sait qu’ « il n’y a pas de mort absolue. L’esprit est la vie et l’esprit ne saurait mourir. Seule la chair passe et meurt et par l’effet de fermentations chimiques, se transforme et se dissout pour renaître ensuite, comme une matière malléable, sous des formes nouvelles diverses et éphémères qui à leur tour périront pour renaître encore. L’esprit seul souffre et continue à se reconstruire à travers des incarnations successives et ainsi jusqu’à ce qu’il atteigne la lumière. Qui serai-je lorsque je revivrai ? Je me le demande… Je me le demande. « (fin du roman). La mort est la porte par laquelle son esprit quitte son corps qui l’emprisonnait et les chaînes qui le suppliciaient.

Dans l’intrigue principale, la prison, et dans les intrigues secondaires, l’homme est en proie à une même aliénation qui se décline sous différentes formes, à travers tous les âges : injustice, tyrannie, oppression sociale, obéissance aveugle, catastrophe naturelle. Seul, le recours à l’esprit peut vaincre cette aliénation qui frappe d’abord les corps. A travers ces voyages dans le temps, de la préhistoire à nos jours, London tire un certain nombre de conclusions : «  j’ai vécu d’innombrables existences tout au long de temps infinis. L’homme, individuellement, n’a fait aucun progrès moral depuis les dix derniers milliers d’années, je l’affirme solennellement. La seule différence entre le poulain sauvage et le cheval de trait patient n’est qu’une différence de dressage. L’éducation est la seule différence morale qui existe entre l’homme d’aujourd’hui et celui d’il y a dix mille ans. Sous le faible vernis de moralité dont il a enduit sa peau, il est resté le même sauvage qu’il était il y a cent siècles. La moralité est une création sociale qui s’est agglomérée au cours des âges. Mais le nourrisson deviendra un sauvage si on ne l’éduque, si on ne lui donne un certain vernis de cette moralité abstraite qui s’est accumulée le long des siècles. Tu ne tueras point, quelle blague ! On va me tuer demain matin. Tu ne tueras point quelle blague encore ! Dans tous les arsenaux des pays civilisés, on construit aujourd’hui des cuirassés et des croiseurs. Mes chers amis, moi qui vais mourir, je vous salue en disant : quelle blague ! Je vous le demande quelle morale prêche-t-on actuellement qui soit plus belle que celles prêchées par le Christ, par Bouddha, par Socrate et par Platon, par Confucius et par l’auteur du Mahabharata quel qu’il puisse avoir été ? Seigneur, il y a 50 000 ans dans nos tribus, nos femmes étaient plus vertueuses et nos familles, nos relations entre nous bien plus sévèrement codifiées . Je dois déclarer que la morale qu’on pratiquait en ces temps-là était bien plus belle que celle que l’on pratique aujourd’hui. Ne rejetez pas hâtivement cette idée. Pensez au travail de nos enfants, à la corruption de notre police et de nos politiciens, à la détérioration de nos aliments et à la condition d’esclaves de nos filles pauvres. Aux temps où j’étais Fils de la Montagne et Fils du taureau (préhistoire), la prostitution était inconnue. Nous étions vertueux, comme je vous l’ai dit et nous ne pensions pas à une si profonde dépravation. ».

Pour finir, le livre aura un impact aux États-Unis. L’usage de la camisole de force sera aboli, ainsi que le droit tout puissant du directeur d’établissement pénitencier de condamner à mort les détenus indisciplinés.

Pascal Broutin