L’origine du mot, un nuage de concepts à partir du livre d’Alain Cambier qu’est ce qu’une ville ? publié chez Vrin :

CIVILISATION,  VILLAGE, CULTURE, HOMME, URBAIN, URBANITE, POLITIQUE, SEDENTARISATION, ŒUVRE D’ART, LIBERTE, BARBARIE, VIOLENCE

 Alain Cambier montre que l’histoire de la ville est totalement concomitante à l’historie de la civilisation. Les premières villes naissent en même temps que l’écriture et les premières grandes civilisations.

Curieusement, l’étymologie du mot ville « villa » en latin renvoie à la maison rurale. Dans le monde gallo-romain, ville va prendre le sens d’un ensemble de fermes regroupées. Etya1mologiquement, la ville et la campagne ne s’opposent pas. Le mot ville et le mot village possèdent le même étymon latin. L’opposition claire entre ville et village ne date réellement que du Moyen Age. Le mot ville est lié aussi au mot culture qui tire son origine du verbe « colere » signifiant tracer un sillon. Le premier acte fondateur de Romulus consiste à tracer les limites de la future Rome avec sa charrue. En dessinant un cercle, en élevant une clôture, il soustrait l’homme à l’emprise de la nature et le place sous sa propre loi et celle du divin. Une ville est constituée de choses artificielles et non naturelles réalisées de mains d’homme, d’artefacts Ces constructions artificielles donnent une réalité à la notion de culture. Pour Hannah Arendt, l’homme seul est un animal et il ne peut s’épanouir qu’au sein d’une communauté, dans un milieu édifié artificiellement. L’homme quitte le rythme de la nature en construisant ses propres artefacts. Pour l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, la ville est « la chose humaine par excellence ».. L’homme, petit à petit, a appris à se distancier du règne de la nature. Comme le dit Alain Cambier, « il a conquis le pouvoir de surmonter la fascination pour la présence compacte des choses et s’est donné les moyens, grâce au langage, d’accéder à la représentation du réel. Au lieu de rester, comme l’animal, englué dans la vie immédiate, de se laisser absorber par elle, l’homme s’est efforcé de mettre les choses à distance, grâce aux formes symboliques qui permettent l’émergence d’un champ de possibles. » Les latins possèdent d’autres termes pour désigner la ville comme Urbs quia2 va donner urbain. Le mot désigne la ville dans un sens concret comme un ensemble de maisons. L’urbain habite la ville en adoptant des mœurs plus raffinées qu’en campagne et qu’on désigne par le mot urbanité : politesse, bon ton, langage spirituel…Le mot civitas désigne la ville comme entité politique ainsi que l’ensemble de ses concitoyens. Il renvoie aussi à la notion de civilité et plus tardivement au mot civilisation. Pour Mirabeau le mot civilisation synthétise cet état d’esprit : « la civilisation est l’adoucissement de ses mœurs, l’urbanité, la politesse et les connaissances répandues de manière que les bienséances y soient observées ».

 De son côté, l’étymon grec « polis » désigne la ville mais aussi l’espace où s’exerce la politique.  Alain Cambier définit la politique comme « l’art de régler les problèmes du vivre ensemble par la parole et par l’action plutôt que par la violence qui fait régresser vers la férocité animale. Pour Aristote : « l’homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement ou par suite des circonstances est un être ou dégradé ou au-dessus de l’humanité ». L’émergence des villes nécessite la sédentarisation des populations. Les premières villes sont des nécropoles. Le culte des morts, considéré comme le premier acte de civilisation, incite les populations à demeurer autour des lieux sacrés. Petit à petit, la qualité des matériaux et la Technique vont permettre aux villes de perdurer pendant plusieurs générations et de devenir ainsi des œuvres d’art L’homo Faber, l’homme susceptible de fabriquer des outils, entretient un rapport privilégié entre la main et l’esprit (l’artisan bâtisseur) et s’oppose à l’animal laborans qui travaille pour nourrir son corps, fatigué par le travail.

 Dans la Bible, la première ville Hénoch est construite par Caïn, après l’assassinat de son frère Abel, Dieu le punit en rendant sa terre infertile. Il construit une ville. Cet a3acte relève du désir de Caïn de s’affranchir de la tutelle de Dieu et de gagner sa liberté.  Hénoch devient un lieu d’effervescence créatrice. On peut y rencontrer Yahal le tisserand, Yubal le musicien, Tubalcaïn le forgeron. Cette volonté d’émancipation se retrouve chez les bâtisseurs de la tour de Babel. La nature apparaît comme une construction de Dieu tandis que la ville celle des hommes. Dans la ville, l’homme se donne des lois pour protéger la ville, lois humaines et non divines, lois qui apparaissent plus efficaces que les murailles pour se protéger.

 Au Moyen Age, la campagne apparaît comme le lieu du servage, du despotisme de la nature qui par la sécheresse, le vent ou d’autres intempéries peut tout détruire  De son côté, la ville s’avère être plutôt un lieu d’affranchissement, de liberté. Les serfs se rendant en ville pouvaient acquérir le statut de citoyen libre. Les bourgeois, les habitants du bourg, étaient libres. Ils se constituaient en assemblée et jouissaient d’une certaine indépendance administrative, militaire, juridique et politique. Ils obtinrent par la lutte ou la négociation comme nous le voyons dans le roman de Ken Follett les piliers de la terre une autonomie économique : ouvrir un marché, battre monnaie…L’ordre politique émane de la communauté et non plus d’une seule personne le seigneur.

 Le tableau n’est pas si rose que cela, car pour porter atteinte à la civilisation un des meilleurs moyens est la destruction de la ville. Les premières villes furent attaqués par les peuples nomades : les Mongols en Orient, les Huns en Occident. Bien avant, on assiste dans la Bible à la destruction de Babel, Sodome et Gomorrhe, Jéricho. Puis pour affirmer la suprématie de sa culture on détruit les cités (Cortez détruit la ca4apitale de l’empire aztèque Tenochtitlan. Plus près de nous, la destruction de Vukovar ou des Twin Towers, véritables tours de Babel contemporaines.. Toutes les cultures ont subi des actes de barbarie, mais toutes en ont perpétrés. La ville engendre sa propre violence et d’autant plus qu’elle se développe et se massifie : l’exclusion et la discrimination sociale des bas-fonds (voir le précédent billet), la prison, l’asile, mais aussi l’aliénation, la déshumanisation, la misère dans les villes industrielles, les différentes formes de pollution (déjections, détritus, smog londonien…). La ville perd son côté intérêt public pour un ensemble d’intérêts particuliers tournant autour de l’argent. La ville n’est plus le berceau de la démocratie. Elle génère le crime et la corruption. La crise de la ville est une crise culturelle car ses habitants ne trouvent plus de sens, de valeurs qui lui permettent de s’orienter dans l’existence.

Pascal Broutin