l_homme_qui_rit_1Je vais vous proposer une lecture de « L’homme qui rit » de Victor Hugo, à travers le prisme du thème du BTS de cette année : « le rire ». Vous trouverez de nombreuses références au livre. Nous vous donnerons les pages correspondantes à l’Edition 2002 du livre de poche Mais avant cela quelques mots sur l’histoire : l’homme qui rit est d’abord un enfant, abandonné par une bande de voleur d’enfants sur une plage aux pieds d’une falaise le jour d’une tempête. D’entrée, il va rencontrer le première « homme qui rit » en la personne d’un spectre qui se balance sur le gibet Je vous invite vivement à lire cette rencontre mémorable qui aurait pu inspirer Fritz Lang pour la scène inaugurale des « contrebandiers du Moonfleet », et ceci à partir de la page 114. « le crâne, fêlé et fendu, avait l’hiatus d’un fruit pourri. Les dents étaient demeurées humaines, elles avaient conservé le rire » .La rencontre est d’autant plus stupéfiante que le gibet s’anime et le mort se met à vivre. Victor Hugo nous propose avec l’image du gibet une véritable allégorie de l’écriture. Les oscillations du gibet représentent le mouvement de la main de l_homme_qui_rit_2l’écrivain sur la feuille de papier, comme des empreintes que l’on laisse sur la neige. Victor Hugo utilise une écriture spectographique. Un écrivain écrit avec tous les morts avec le passé. En mobilisant le passé, on révolutionne le présent. Les corbeaux qui tournent autour du gibet, prêtent leurs plumes noires à l’écrivain. Après avoir longé le Styx , l’enfant va rencontrer, dans son parcours initiatique, une deuxième fois la mort en la personne de la mère de Déa, morte dans la neige dont du sein perle une goutte de lait gelée. Gwynplaine, enfant perdu, prend le bébé, enfant trouvé, sous sa protection et part à la recherche d’un refuge. Après avoir été rejeté maintes et maintes fois, il le trouve en la personne d’Ursus qui loge dans une roulotte foraine en compagnie d’Homo son fidèle loup . Ursus « ne souriait pas , nous l’avons dit, mais il riait parfois fréquemment même ; d’un rire amer. Il y a du consentement dans le sourire, tandis que le rire est avant tout un refus »p.68. Ursus va lui renvoyer son image et nous allons découvrir pour la première fois la particularité de Gwynplaine. Les voleurs, appelés Comprachicos, lui ont fait subir une torture épouvantable en lui ouvrant la bouche jusqu’aux oreilles, de sorte qu’il rit toujours. Nous apprenons au chapitre 2 que les Comprachicos l’ont défiguré pour l_homme_qui_rit_3rire : « les Comprachicos faisaient le commerce des enfants. Ils en achetaient, ils en vendaient…et que faisaient-ils de ces enfants ? Des monstres. Pourquoi des monstres ? Pour rire ; le peuple a besoin de rire. Les rois aussi. Il faut aux carrefours le baladin ; il faut aux Louvres le bouffon » « Pour que l’homme hochet réussisse, il faut le prendre de bonne heure. Le nain doit être commencé petit. On jouait de l’enfance. Mais un enfant droit, ce n’est pas bien amusant. Un bossu, c’est plus gai. De là un art. Il y avait des éleveurs. On prenait un homme et on en faisait un avorton ; on prenait un visage et on en faisait un mufle »p.69. Si vous voulez en savoir plus sur ces pratiques barbares tant appréciées à l’époque, je vous invite à lire les pages 68,69,70,71,72,73,. Vous ferez en particulier connaissance de « l’homme coq » Le visage de l’enfant n’apparaît qu’à la page 254 . Nous vous proposons une approche dialoguée de la découverte « Ursus l’interpella brusquement : -Qu’as-tu à rire ? Le garçon répondit : – Je ne ris pas. … -Alors, tu es terrible. … l_homme_qui_rit_4Ne ris donc plus. –Je ne ris pas… -Tu ris, te dis-je …Qui est –ce qui t’a fait cela ? …-Je ne sais ce que vous voulez dire…-Depuis quand as-tu ce rire ? Ursus trouve dans un livre le supplice qu’on a fait subir à Gwynplaine « De Desantis ». « la bouche fendue jusqu’aux oreilles, les gencives à nu et le nez écrasé, tu seras masque et riras toujours ». Victor Hugo nous propose une description précise du visage de Gwynplaine dans le premier chapitre du livre deuxième, intitulé « où l’on voit le visage de celui dont on n’a encore vu que les actions »p.371 Gwynplaine est l’alter ego de Quasimodo. La vie s’affirme malgré l’horreur qui porte sur les corps et les esprits et Ursus va exploiter le rire de Gwynplaine en inventant un spectacle qui s’intitule « chaos vaincu ». Les deux enfants grandissent et tombent amoureux l’un de l’autre. Déa, aveugle suite à sa mésaventure dans le froid près de la falaise, ne voit pas sa laideur et embrasse régulièrement Gwynplaine en lui disant qu’il est beau. Le garçon est attiré par les yeux aveugles mais aussi lumineux de Déa qui reflètent la pureté de son âme. Au cours du spectacle, Gwynplaine fait rire en riant. Sa face rit mais pas sa pensée. 2 rires cohabitent celui pétrifié de Gwynplaine et celui de la foule qui l’exclut. Ce rire pétrifié renvoie à la mort au spectre dans le sens où l’entend Bergson. Le rire est une façon qu’a la vie de se moquer d’elle même à l’instant où elle se pétrifie. Harquanome, le bourreau de Gwynplaine, meurt en riant « il a ri, cela l’a tué »Le rire fixe engendre le rire vivant. « Seulement, le rire est-il synonyme de joie ?… Gwynplaine était un don fait par la providence à la tristesse des hommes… Un jour le bourreau vint, et Gwynplaine le fit rire…Spleen était à un bout, et Gwynplaine à l’autre» p.372-373. La particularité de son rire est que « Sa face riait, sa pensée non… C’était un rire automatique, et d’autant plus irrésistible qu’il était pétrifié »p.373. Pour son malheur « quoi que fit Gwynplaine, quoi qu’il voulut, quoi qu’il pensât, dès qu’il levait la tête, la foule, si la foule était là, avait devant les yeux cette apparition : l’éclat de rire foudroyant. »p.373. Gwynplaine se retrouve seul, isolé du monde par sa difformité hilarante, comme Déa par sa cécité. Hardquanome lance à Gwynplaine une sorte de malédiction dans la prison : « Maintenant ris à jamais. Et lui même il se mit à rire » p.568. « L’isolement de Déa était funèbre, elle ne voyait rien ; l’isolement de Gwynplaine était sinistre, il voyait tout… Déa était la proscrite de la lumière ; Gwynplaine était le banni de la vie…Un décret de malheur pesait visiblement sur ces 2 créatures humaines, et jamais la fatalité, autour de 2 êtres qui n’avaient rien fait, n’avait mieux arrangé la destinée en torture et la vie en enfer. Ils étaient dans un paradis. Ils s’aimaient. Gwynplaine adorait Dea . Dea idolâtrait Gwynplaine. -Tu es si beau ! lui disait-elle. Uns seule femme sur la terre voyait Gwynplane. C’était une aveugle ». pages380-381 Déa et Gwynplaine représentent la rencontre de 2 misères qui se sauvent mutuellement. Parfois, Gwynplaine ressent une sorte de mauvaise conscience : « Une fois, il dit à Déa : -Tu sais que je suis très laid. –Je sais que tu es sublime, répondit-elle. Il reprit : -Quand tu entends tout le monde rire, c’est de moi qu’on rit, parce que je suis horrible. –Je t’aime lui dit Déa » p.397. Être aveugle et amoureux c’est être 2 fois aveugles. Pour Déa « être laid, qu’est-ce que cela ? c’est faire du mal. Gwynplaine ne fait que du bien. Il est beau ».p398. Gwymplane se réjouit, même page 419, de sa difformité qui est à la fois son gagne-pain mais surtout aussi l’amour exclusif de Déa. De plus, son état fait rire les malheureux. Et « faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur terre, qu’un distributeur d’oubli ! »p.422. Je vous invite à lire la réaction du public à un spectacle de Gwynplaine, à partir de la page 402. Un peu plus tard dans le texte, Ursus compare la philosophie au rire : « j’ai un camarade qui fait rire, moi je fais penser. Nous habitons la même boîte, le rire étant d’aussi bonne famille que le savoir. Quand on demandait à Démocrite : comment savez-vous ? il répondait : Je ris. Et moi, si l’on me demande : pourquoi riez-vous ? Je répondrai : je sais » p.443-444. Démocratique est un philosophe présocratique que la tradition populaire présente comme quelqu’un riant de tout , par opposition à un autre philosophe présocratique Héraclite qui pleurait de tout. Comédie tragédie, rires et pleurs tout les rapproche.. Parfois, à la suite d’un effort colossal, il peut faire disparaître son rire comme au parlement p.751 : « pour une minute qu’il sentait solennelle, par une prodigieuse intensité de volonté, mais pour pas beaucoup plus de temps qu’un éclair, il avait jeté sur son front le sombre voile de son âme ; il tenait en suspens son incurable rire ; de cette face qu’on lui avait sculptée, il avait retiré la joie. Il n’était plus qu’effrayant ». « Etre comique au dehors et tragique au dedans, pas de souffrance plus humiliante, pas de colère plus profonde, Gwynplaine avait cela en lui ». page 759.

Nous reviendrons bientôt sur le rire de Gwynplaine

Pascal Broutin